FREESTYLE
Europe Écologie à Marseille
Vidéo envoyée par sergelourie
Jean-Michel HELVIG et Paul QUINIO
Avec le recul, comment avez-vous vécu cette polémique?
Je me suis aperçu tout d'un coup que la parole n'a plus aucune valeur. Quoi que je dise, quoi que je fasse, on me demandait, sans que cela soit nécessairement méchant: «Mais est-ce que vous êtes vraiment pédophile?» C'était le froid total. J'étais glacé. Mon interview à TF1, je persiste et je signe. Le rendez-vous avait été pris des mois et des semaines avant. Si je n'y étais pas allé, c'était pire. Les gens auraient dit, «il se déballonne, il a peur». Donc, malgré les conseils des copains, j'y suis allé. Même si j'avais mal. Et puis, en revenant à Francfort, j'ai d'abord été vraiment touché par le nombre incroyable de messages de solidarité que j'ai reçus. Des gens, pas que des amis, me disaient, «trop, c'est trop». J'ai reçu aussi des messages de solidarité d'hommes politiques, droite et gauche confondues. Les Verts aussi ont été parfaits. Cette chaleur venue des parents du jardin d'enfants de Francfort, qui disaient : «Mais enfin, Dany, arrête, tu as été très important pour nos enfants, c'est absolument horrible de te voir te défendre comme ça», tout cela m'a beaucoup aidé.
Avez-vous pensé tout arrêter?
Je me suis dit à chaud qu'il fallait vraisemblablement avoir tout vécu. Et ce que j'ai vécu la semaine dernière, ce que je vis depuis deux mois avec Joschka Fischer, c'est difficile, c'est lourd. J'avoue que quand je suis rentré à Francfort, je me suis demandé pourquoi ne pas tout lâcher. Qu'est-ce que j'en ai à cirer... Fischer, c'est pareil. Comme moi, il est le symbole d'une histoire contradictoire, où il existe une fidélité et en même temps un dépassement, une remise en question de cette histoire. Puis, je me suis dit: pourquoi arrêter, pourquoi avoir mauvaise conscience? Pourquoi je ne m'en remettrai pas, comme l'a suggéré avec sa délicatesse habituelle Françoise Giroud? Je n'ai pas à me remettre, je suis très bien, je n'ai rien à voir avec ce que l'on a décrit. Donc je repars aujourd'hui. Plus sûr de moi, très bien dans mes baskets et je veux continuer à me battre politiquement. Non seulement je ne vois pas pourquoi j'arrêterai, mais je suis certain que la semaine dernière a été salutaire. Je me suis rendu compte que ceux qui attaquent le libéral libertaire que je suis ont besoin du mensonge. Si dans la société française on arrive à délégitimer notre histoire, on délégitime une certaine approche de la politique qui change en agissant et n'a pas honte de se critiquer quand elle se trompe. C'est ça qui est en jeu aujourd'hui.
Quand vous revenez à Francfort, est-ce que vous trouvez une différence de climat entre la France et l'Allemagne?
Oui. En Allemagne, pendant trois semaines, les journaux ont refusé de parler de cette histoire, alors qu'ils étaient tous à scruter le site Internet de Bettina Röhl pour voir ce qu'elle allait sortir sur Fischer. Tout le monde donc voit ce qu'elle a sur moi, mais personne ne bouge. Bettina Röhl trouve alors une copine, correspondante du journal anglais The Observer, qui sort un papier. Mais The Independent tue le débat le lendemain en jugeant cette affaire complètement idiote. La Repubblica, en Italie, sort l'affaire le lendemain et le journaliste que je connais très bien me dit: «ça va faire un scandale, tu vas être attaqué de tous les côtés.» Je lui réponds que non. Au Parlement européen, les conservateurs en discutent. Les Anglais veulent faire un truc, les conservateurs allemands disent : «Mais non, on ne va pas jouer à ça, qu'est-ce que ça veut dire, nous savons très bien ce que c'était les jardins d'enfants antiautoritaires, c'est fini.» Puis il y a l'Express en France.
Voilà pour la petite histoire. Mais il y a surtout, entre la France et l'Allemagne, une différence fondamentale. En France, dans les années 70, seule une minorité discute, lit les livres de la mouvance et les articles de Libération. En Allemagne, à la même époque, il existe des centaines et des centaines de jardins d'enfants, des milliers et des milliers d'éducateurs qui travaillent à réformer tout le système éducatif. C'est le problème d'une société tout entière qui se pose la question de l'autorité, y compris par rapport au fascisme. Pourquoi les Allemands ont-ils suivi l'autorité fasciste? Il faut aussi se souvenir qu'en Allemagne, dans les années 50, l'éducation interdit la masturbation. Le discours, c'était «qui se masturbe devient fou». Tout ça pour dire que ce n'est pas simplement un jeu. Contre le caractère autoritaire, il n'y a qu'une solution, c'est l'autonomie de l'individu. Comment l'individu arrive à son autonomie? D'où les débats sur l'éducation, la sexualité, l'enfance. Comment permettre à l'enfant qui découvre sa propre sexualité, donc sa propre identité, d'arriver à son autonomie?
Autre chose: qui en premier a mené la lutte contre certains petits groupes homosexuels qui revendiquaient la pédophilie? Ce sont les femmes, les féministes, et moi! Pas en 2001, mais dès 1971. Dans Tout! (1), puis à Libération, comme en Allemagne. Le mouvement antiautoritaire, les féministes, se sont battus sur cette question, car pour eux, derrière la pédophilie il y avait une nouvelle forme de domination, un nouveau rapport d'autorité: l'exploitation du faible et du vulnérable par le fort. On peut tout reprocher à Mai 68 et à l'après-mai, mais pas de ne pas avoir mené publiquement les débats. Aujourd'hui, on dit que la dérive de la libération sexuelle a débouché sur la permissivité. Autrement dit, les curés du coin, les pères de famille, les oncles se sont dit: «On peut y aller», parce que des pédophiles homosexuels ont pu s'exprimer dans Libération même s'ils ont été contredits. Parce que quand même, 95 % des cas d'abus sexuels sont dans la famille! Et ce sont les pères, les oncles, parce qu'ils ont lu Schérer et Hocquenghem (2), qui se sont dit: «libérons-nous, allons-y». C'est complètement fou. S'il y a aujourd'hui une reconnaissance de l'abus sexuel, c'est parce qu'on a imposé dans les années 1970 de parler de sexualité. C'est ce mouvement-là, libérateur, qui impose à la société ce débat dont elle ne voulait pas. Un enfant n'est pas un objet sexuel ! Une femme qui dit non, dit non ! Une épouse qui dit non et qu'un mari force à faire l'amour, c'est un viol : telle était notre immoralité permissive, celle des féministes, la nôtre, la mienne.
Contre qui avez-vous l'impression de devoir vous défendre aujourd'hui?
Il faut faire attention. Il y a d'abord la révolte de ceux qui ont 30 ans contre ceux qui ont 50 ans. C'est normal. Ils considèrent qu'il y a un pouvoir occulte d'une certaine génération dans la société et disent «ôtez-vous de là, qu'on s'y mette». Deuxièmement, le devoir d'inventaire. Je dis, mais enfin, moi, depuis 1968, ma réflexion et ma pratique politique sont un inventaire permanent. Ce n'est pas la révolution permanente, c'est l'inventaire permanent. Pourquoi j'étais au jardin d'enfants? Pour faire l'inventaire du militantisme gauchiste traditionnel. Personne ne se demande pourquoi un militant révolutionnaire va travailler 8 heures par jour dans un jardin d'enfants, sinon avec des vues perverses de la chose. Alors qu'à l'époque, il existe une évolution du gauchisme vers le machisme militant et violent, et puis il y en a d'autres qui disent, comme le mouvement féministe, comme moi, «non, je ne veux pas». Et font la démonstration de ces critiques en allant travailler dans un jardin d'enfants.
Cette critique, c'est la critique du révolutionnaire. Nous l'avons faite nous-mêmes. Ce devoir d'inventaire, c'est toutes les années 70. C'est cette critique, cette réflexion sur nous-mêmes, sur notre lutte, qui nous amène à entrer chez les Verts, à concevoir la politique autrement. Je ne vois pas pourquoi, quinze ans après, tout d'un coup, avec le doigt levé, on me dit : il faut faire un inventaire.
Entrer chez les Verts, c'est un inventaire du gauchisme, pas seulement en catimini, mais explicitement. C'est une lutte sur le totalitarisme, c'est le passage théorique de la révolte à la réflexion sur les institutions, sur le libéralisme politique. Et puis ça continue quand je deviens adjoint au maire de la ville de Francfort. Est-ce qu'un adjoint au maire arrive aux commandes d'une ville responsable de l'émigration en disant : «sans foi, ni loi», on va tout mettre à plat? Cette évolution-là ne dit pas: à bas l'autorité, mais: quelle autorité? On n'est plus dans le: «Il est interdit d'interdire». C'est vraiment grotesque. «Il est interdit d'interdire» est un défi poétique de situationnistes en 1968.
Quelles étaient les lignes de fracture de l'époque?
Je crois que notre débat en 70, c'était contre la gauche révolutionnaire classique qui posait avant tout le problème politique de la prise de pouvoir de l'Etat. Nous, nous disions que la prise de pouvoir de l'Etat ne viendrait jamais. Donc nous avons appelé ça la politique à la première personne. Nous voulions vivre la révolution, nous ne voulions pas l'attendre.
Quelle était la première critique de Mai 68 formulée par Régis Debray à son retour d'Amérique latine? «Vous étiez des petits-bourgeois, vous n'avez pas eu le courage de prendre les armes et de prendre le pouvoir», disait-il. C'est l'idée des Rendez-vous manqués. Nous lui répondions que ce n'était pas notre tasse de thé. Cette critique de Régis Debray a été reprise par des gens d'extrême gauche qui ont monté les groupes terroristes. Pour autant, il serait complètement aberrant de dire aujourd'hui: «Régis Debray et Andreas Baader même combat!» Nous étions pour la politique de la vie, contre le militantisme gauchiste traditionnel, sa vision manichéenne, policière et militaire de la révolution. Avions-nous tort ou raison? C'était le débat de l'époque.
Et aujourd'hui?
Aujourd'hui, le débat tourne autour de notre évolution du début des années 80. Il y a eu alors un nouveau projet politique: l'Europe. Et l'Europe, justement, reprend tous nos débats sur le totalitarisme, c'est-à-dire l'affrontement entre l'Union soviétique qui existait encore et les Etats-Unis. Quel a été notre rôle? Moi, je n'étais pas dans le camp des pacifistes dans le débat sur l'installation par les Américains des SS-20. C'est vrai qu'il y avait une tentative d'hégémonie des Américains. Mais c'est vrai aussi que le mouvement pacifiste minimisait le totalitarisme et l'impérialisme russes pour dire que nous n'avions pas besoin des fusées Pershing. Il fallait dire «l'URSS n'est pas dangereuse, ce sont les Américains qui le sont le plus». A partir de là est née l'idée qu'il fallait une autre force, capable de sortir du manichéisme impérialisme contre impérialisme. C'est là qu'est née toute une réflexion sur l'Europe.
L'étiquette de libéral libertaire n'est-elle pas devenue malaisée à afficher?
Libéral libertaire, j'assume, je signe et je persiste. Et j'en ai ras-le-bol de ces histoires qui ne veulent rien dire. Je sais que la majorité des Verts ne sont pas d'accord. Mais c'est comme ça. C'est un vrai débat politique. Il y a d'abord une réflexion sur le totalitarisme et les institutions politiques. Je persisterai contre vents et marées à dire que le libéralisme politique a défini la structure nécessaire de la démocratie contre les totalitarismes. Là-dessus, je ne bougerai pas d'un centimètre. Libertaire? Je dis qu'on peut intégrer l'idée d'autogestion, l'idée d'économie solidaire dans une économie de marché. Prenons un exemple: la taxe Tobin. Je suis pour, mais je suis pour aussi ce que dit Tobin sur l'impôt négatif. Je ne veux pas prendre Tobin simplement quand ça me plaît. L'impôt négatif, on dit que c'est du libéralisme de Chicago. Mais ce n'est pas vrai. L'impôt négatif comme je le comprends peut amener au salaire social, à un minimum de revenu social pour tout le monde. Je crois qu'on peut y arriver. Prenons un autre exemple: la bagarre qui a lieu en ce moment en Afrique du Sud sur le sida. On va voir que l'on peut utiliser l'OMC pour protéger l'Afrique du Sud contre les grandes sociétés pharmaceutiques. Une OMC réformée de fond en comble, définie par des conventions internationales sous l'égide de l'ONU, capable de réguler le marché mondial. Pour moi, il est complètement idiot d'être contre la mondialisation. Nous avons besoin d'entrer dans le marché mondial. La seule question est comment et à quelles conditions? Voilà comment il faut se battre. Il y a une peur profonde face à la mondialisation. C'est une angoisse que je peux comprendre. C'est vrai que ça donne le vertige. Et dès qu'il y a un vertige, les gens, beaucoup d'intellectuels, se cachent derrière cette idée de protection que serait la France, la République. Est-ce une vraie protection? Je ne le pense pas. Pour moi, c'est l'Europe, la construction européenne, cette Europe qui reste à construire. C'est la seule masse critique capable de protéger les nations européennes, les individus européens contre une mondialisation dominée par les Américains... Voilà le débat, il est net, mais ça n'a rien à voir avec la loi ou avec le concept de libéral libertaire...
Le directeur du Nouvel Observateur explique que le libéral libertaire «sape l'idée même de la Loi»? Vous seriez l'incarnation de ceux qui défendent le contrat contre la loi...
Pourquoi la question est-elle posée comme ça en France? Parce que les forces sociales, les syndicalistes n'ont pas confiance en eux-mêmes. C'est leur faiblesse: l'Etat, la loi sont nécessaires parce que nous sommes faibles. Je peux à la rigueur comprendre cette manière de penser car le Medef se sentant fort dit: «Je n'ai pas besoin de loi, j'impose mon contrat». Cette stratégie du Medef est catastrophique. Car même si on estime que le contrat est nécessaire, que la démocratie vit aussi de la capacité des forces sociales à trouver les forces de ne pas être toujours guidées par l'Etat, le Medef, avec son arrogance, pousse en réalité toujours l'Etat à agir.
Prenons un exemple: les retraites. La solution viendra-t-elle de la loi ou du contrat? Moi, libéral libertaire, je veux l'autonomie du choix. Pourquoi un syndicat déciderait que tout le monde doit prendre sa retraite à 55, 60 ou 62 ans? Pourquoi le patronat déciderait que tout le monde doit travailler jusqu'à 70 ans? Qu'est-ce que c'est que cette histoire? Je crois qu'il y a des métiers où les gens veulent et doivent pouvoir prendre leur retraite à 56, 57 ans. Il y a des métiers où les gens veulent continuer à mi-temps? L'autonomie, pour moi, c'est comment une société permet aux individus de réaliser leur projet de vie. Voilà le libéral libertaire. Le rôle de l'Etat pour moi aujourd'hui est d'assurer la possibilité de l'autonomie, de la décision des individus dans des groupes sociaux. Ce n'est pas le débat contrat ou Etat. Evidemment que l'Etat doit garantir la solidarité de la retraite par répartition. En même temps, il doit garantir l'égalité des chances face à un monde aussi inégalitaire. Et l'Europe doit nous permettre d'être des partenaires réels des Américains, capables de dire non, de se battre pour une régulation sociale et écologique de la mondialisation.
(1) Journal du groupe «Vive la révolution!», des années 70, tendance maoïste libertaire.
(2) Le philosophe René Schérer et le journaliste Guy Hocquenghem ont notamment dirigé en 1976 un numéro de la revue Recherches, plaidoyer pour la libre sexualité des enfants.
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